top of page

La Spirale du silence

Nous le savons tous, le rôle des médias dans le déroulement de l’élection présidentielle est déterminant. C’est déjà ce que dénonçait la sociologue Elisabeth Noëlle-Neumann dans sa théorie : « la Spirale du silence ». En 1974, elle s’est intéressée à l’influence des médias sur les choix des individus. Sa thèse repose sur le constat que l'individu est sensible à son environnement social. Si ses opinions se retrouvent à contre-courant de l'opinion publique véhiculée par les médias de masse, il aura tendance à taire son propre avis par crainte de se retrouver isolé dans son environnement social. 

 

Pour vérifier sa théorie, la sociologue étudie les élections de 1972 en République Fédérale d'Allemagne (RFA) et démontre un changement radical de l'intention de vote en faveur de l'opinion la plus fortement présentée par la presse. Elle souligne notamment que l'individu n'a d’autre solution pour évaluer l'opinion publique que de recourir aux médias de masse. Voici ce qu’elle conclut : « Selon le mécanisme psycho-social que nous avons appelé la « spirale du silence », il convient de voir les médias comme des créateurs de l'opinion publique ».

 

A l’instar des chaînes d’information, les instituts de sondage agissent eux aussi comme des véritables influenceurs de l’opinion. La conséquence est de nous faire croire que l’ensemble du spectre politique - donc des choix - se résume en une sélection prédéfinie de candidats. En proposant systématiquement un choix de réponses volontairement limité - le candidat rouge ou le candidat bleu - ils réduisent notre champ de réflexion et alimentent la croyance populaire que ces choix-là sont les seuls acceptables. Si nous sommes libres de nous exprimer dans un isoloir, notre liberté de penser, elle, se réduit aux petites cases de l'IFOP, Harris, BVA, Ipsos, Sofres et autres Odoxa.

 

Imaginez l’enquête suivante. Une grande marque de ‘’glaces & sorbets’’ souhaite optimiser sa production. Pour ce faire, elle a besoin de connaître les préférences d’achat des consommateurs. Elle demande donc à l’institut OPIF de réaliser un sondage en posant cette question simple : « Quel parfum préférez-vous ? ». Mais au lieu de laisser libre court aux réponses des sondés, elle impose cinq possibilités : noix, framboise, cappuccino, pistache et citron vert. Ces cinq propositions ne sont pas définies au hasard. Elles constituent le Top 5 des ventes dudit fabriquant. En revanche, ces cinq parfums ne sont pas forcément ceux que les personnes interrogées auraient indiqués spontanément si les réponses étaient restées ouvertes. On peut imaginer dans ce cas que la plupart d’entre elles aurait répondu vanille, fraise ou chocolat. Mais ces choix-là ne font pas partie des réponses possibles. Il faut obligatoirement répondre en utilisant l’un des cinq choix présélectionnés par le fabricant. Les résultats de ce curieux sondage montreront peut-être que la pistache l’emporterait d’une courte tête devant le citron vert. Fort de ce sondage, le fabricant lancera une grande campagne médiatique pour annoncer que sa glace à la pistache est le « parfum préféré des français ». Au regard des résultats, il aura effectivement raison, mais est-ce vraiment la réalité ? 

 

La théorie de la « Spirale du silence » porte un regard pertinent sur la campagne de 2022. Elle nous invite à comprendre la multiplication de ces sondages d'opinion qui nous indiquent davantage ce que nous devons penser plutôt que ce que nous pensons vraiment. Elle démontre implicitement qu'une option est systématiquement écartée des propositions. Une option salutaire qui conduirait l'ensemble des fabricants de glaces à adapter leur production en fonction des gouts des consommateurs, et non uniquement en fonction de ce qu'ils sont capables de produire Une option qui dirait « aucun de ces parfums ne me conviennent ».

 

​

bottom of page